Un moyen de locomotion, quelle que soit sa nature, a généralement pour but de conduire quelqu’un entre un point A et un point B. Que l’on voyage à pied, à cheval ou en voiture, le recours exclusif à l’un ou l’autre de ces moyens n’est généralement pas exigé. Certains sont plus efficaces que d’autres pour épargner fatigue ou énergie, la géographie joue un rôle, pour autant personne n’empêche les passionnés de s’en tenir à un seul transport s’ils le souhaitent. Les moyens de circulation des textes suscitent en revanche des jugements moins mesurés, voire légèrement exaltés.
L’accès aux textes numériques ne doit léser ni les auteurs, principalement, ni les éditeurs. En cela les pratiques de certains distributeurs qui aimeraient réduire les livres numériques au rang d’un papier cadeau sont largement dommageables et il importe de les combattre. Mais ces dérives commerciales conduisent trop souvent à condamner le moyen de diffusion lui-même. A moins de considérer comme une nécessité morale le fait d’user d’un moyen de transport spécifique et de juger les autres en conséquence, il ne semble pas plus scandaleux de lire un livre sur une tablette que sur du papier imprimé et relié. Le goût de chacun, et l’agrément que l’on y trouve selon les circonstances, devraient seuls entrer en matière quand au choix de la manière, que l’on lise Shakespeare, Braudel ou Vargas. Ce n’est pas le support qui fait la qualité des textes. Pas plus d’ailleurs que le support n’indique une supériorité spécifique de celui qui en fait usage.
Le choix entre des accès multiples constitue une richesse et non une diminution. L’accès au savoir – ou à la délectation de la lecture – ne justifie aucun mépris qui se baserait sur le moyen de lecture. Avoir la possibilité de s’appuyer sur des murs de livres – en privé ou par le biais des bibliothèques -est un privilège magnifique; pouvoir travailler sur des sources lointaines par le biais d’articles de revues en ligne, de documents numérisés, est devenu une nécessité précieuse; avoir envie d’accompagner ses voyages de lectures familières ou de découvertes sans se charger de kilos de papier est une véritable aubaine, ce qui n’exclut pas de glisser un volume dans sa poche. Pourquoi faudrait-il s’en tenir à une seule option? Le monde est vaste, les technologies évoluent, les usages se transforment… Les textes gravés sur d’antiques stèles ou écrits sur des parchemins ont traversé les siècles, puis ont été imprimés sur des feuillets protégés par des couvertures de cuir, aujourd’hui ils deviennent accessibles de façon plus immatérielle. Qu’est-ce qui est le plus important, le texte ou l’enveloppe? L’un ou l’autre, ou les deux, à vous de voir…